Le stockage souterrain pour l'énergie électrique, une solution qui a ses limites

Par : Hervé Ossard (TSE - CIRT)

En France, dans le tintamarre du débat (sic) sur la réforme des retraites, le sixième rapport de synthèse sur l’évolution du climat publié le 20 mars 2023 par le GIEC est passé quasiment inaperçu. Bien sûr, rappeler que les émissions de CO₂ issues de la combustion des énergies fossiles nous placent sur une trajectoire de réchauffement supérieur à 1,5 °C n’est plus un scoop.

Besoins de stockage

Mais les générations qui seront encore vivantes en 2050 devraient commencer à s’inquiéter pour leur avenir. Limiter les dégâts environnementaux et démographiques qui découleront du réchauffement exige l’abandon des énergies fossiles, notamment pour la production d’électricité qui est appelée à tripler d’ici le milieu du siècle (voir IEA, page 293). Mais miser principalement sur la production des éoliennes et des panneaux photovoltaïques nécessite des adaptations.

Côté demande, nous devons ajuster notre consommation au cycle diurne-nocturne et aux sautes d’humeur de la météo. Côté offre, il nous faut investir dans le réseau de transport de l’électricité et les infrastructures de stockage de l’énergie. Toutes ces solutions sont encouragées par la Commission européenne dans sa proposition de règlement pour améliorer le marché de l’électricité et dans sa recommandation sur le stockage. Elles vont coûter très cher. Ainsi, le stockage de l’énergie électrique passe par sa transformation provisoire en énergie cinétique, chimique, thermique ou gravitaire, ce qui nécessite des équipements coûteux et des pertes de l’ordre de 25-30% avant sa restitution en électrons. A ce jour, la technique la plus répandue reste le pompage et turbinage de l’eau.

Les Stations de Transfert d’Energie par Pompage (STEP)

Le principe des STEP est très simple. Imaginez deux retenues d’eau situées à des altitudes différentes. Quand l’électricité est abondante, elle alimente des pompes pour remonter de l’eau dans le réservoir supérieur. Quand on a besoin d’énergie électrique, on relâche de l’eau qui produit de l’électricité par turbinage avant d’être récupérée dans le réservoir inférieur.

Ces installations sont très précieuses pour équilibrer le réseau électrique puisqu’elles sont très flexibles et peuvent être indifféremment consommatrices (s’il y a de l’eau en bas et de la place en haut) et productrices (s’il y a de l’eau en haut et de la place en bas) d’énergie électrique. Mais elles partagent avec les barrages hydroélectriques classiques (sans pompage) l’inconvénient d’utiliser un grand espace, notamment dans leurs zones de prédilection que sont les montagnes, puisque la puissance des installations dépend beaucoup du dénivelé des deux bassins. Alors, pour réduire l’impact environnemental de surface, pourquoi ne pas utiliser des friches industrielles et enterrer au moins l’un des réservoirs, sinon les deux ?

STEP, mines et carrières

Pour une STEP partiellement ou totalement souterraine, le principal obstacle est le coût de creusement du ou des réservoirs. Beaucoup de projets cherchent à surmonter cet obstacle en utilisant les excavations laissées par les mines et les carrières désaffectées. En Alberta (Canada), l’exploitant du site de Tent Mountain, qui fut le premier fournisseur de charbon pour produire de l’électricité du pays, veut le transformer en STEP. Les caractéristiques du projet sont une capacité installée de 320 MW et un stockage de 4.800 MWh d’énergie, donc une production en continu pendant 15 heures, pour une durée espérée de 80 ans.

En France, à une échelle bien moindre, un projet de micro-STEP (1,5 MW en turbinage) a été lancé en 2014 à Berrien (Finistère) pour convertir une carrière de kaolin (roche argileuse), l’énergie du pompage étant fournie par une ferme éolienne et un parc photovoltaïque. Mais il a été abandonné fin 2017, apparemment en raison d’obstacles administratifs.

Problèmes techniques et environnementaux

La principale difficulté rencontrée par les projets de STEP souterraine est que les mines n’ont pas été creusées et exploitées dans la perspective de voir circuler de grandes masses d’eau, ni l’air chassé par l’eau, plusieurs fois par jour. Se posent donc des problèmes de solidité des galeries et d’étanchéité avec risques de contamination des nappes phréatiques. Outre les coûts inhérents à l’installation des pompes et turbines, à leur maintenance et à leur connexion au réseau électrique, la prise en compte de la qualité des eaux souterraines est un frein au développement de ces projets. Ils permettent certes d’économiser les coûts de creusement, mais ils n’exonèrent pas de la nécessité de solidifier et étanchéifier les galeries et les puits.

Enterrer les STEP n’est pas une mauvaise idée, mais il reste beaucoup de recherche à réaliser pour qu’elles apportent une contribution substantielle au stockage des énergies vertes (pour plus de détail, voir Ineris).

La transition énergétique exige des investissements majeurs dans le stockage de l’énergie. Pour que cette activité soit rentable, il faut une forte amplitude des prix de l’électricité. Ils doivent être très faibles, voire négatifs, quand les réservoirs sont vides, très élevés quand les réservoirs sont pleins. C’est à cette condition que pourront être couvert les coûts de construction, d’entretien et d’exploitation.

Les obstacles ne sont pas que techniques

Mais la crise de l’énergie de 2022 a montré que de telles variations de prix sont impopulaires. Pour avoir à la fois des prix de l’électricité faiblement fluctuants et des capacités de stockage suffisantes, il va falloir rémunérer les opérateurs de stockage autrement, en fonction de leur capacité (au MW et non au MWh) ou de leur flexibilité (Commission européenne). On voit que, pour les STEP en général, et les STEP souterraines en particulier, les obstacles ne sont pas que techniques et environnementaux. Leur avenir est très dépendant de la réglementation, nationale et européenne.

Stefan Ambec et Claude Crampes

ToulEco 30 Mars 2023